Marchand de sable

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On m’avait dit : « Oh, toi ? Tu as fait tes nuits à 1 mois. » Alors autant vous dire, la barre était haute. Et c’est seulement lors de la naissance de mes deux aînées que je me suis souvenue de l’importance de cette déclaration restée jusqu’alors rangée dans la case « on s’en tape » de mon cerveau.

Après deux mois de nuits sans sommeil, à arpenter le couloir pendant des heures pour me retrouver face au miroir et à aux yeux de l’une d’elles, grand, grand ouverts, les nerfs à vifs, la larme et les cernes faciles, à ne pas pouvoir me remettre de longues journées éreintantes que je partageais seule avec mon duo, j’ai commencé à me poser des questions. Je parcourais les forums sur le peu de temps que j’avais devant moi, à la recherche d’une raison et de solutions : pourquoi, pourquoi, bordel ne dort-elle pas ? Elle mange bien. Elle va bien. Pas de reflux, des selles normales, des câlins, des sourires et des areuh. Je suis alors tombée sur la phrase qui tue : « Ta fille, elle a sûrement besoin de téter. Donne lui une tétine. »

Alors, je lui ai mis une tétine.

Et puis, après un nombre incalculable de nuits à l’entendre éjecter ce putain de bout de plastique pas fantastique, j’en ai conclu que ce n’était pas ça. J’hésitais à la laisser pleurer, pour qu’elle comprenne que non, ce n’était pas possible de ne pas dormir comme ça. Je suis alors tombée sur un livre qui prônait justement le contraire : rassure ton enfant, porte-le à volonté, le contact, le contact, le contact, le parent violent, la culpabilité. Je me suis évidemment sentie honteuse et coupable, d’avoir pu un seul instant imaginer laisser mon bébé hurler et en détresse. Déjà que selon le fameux bouquin je la traumatisais parce que je ne répondais pas à ses requêtes aussi vite que nécessaire… (elles étaient deux, je te rappelle). Je t’avoue qu’il fait partie des livres que bon nombre de parents de jumeaux mettraient bien au bûcher tellement beaucoup de conseils prescrits sont impraticables pour eux. Mais à l’époque, j’étais jeune, naïve et je manquais franchement de confiance en moi, je dicernais donc peu. Une jeune mère en somme.

Alors, je l’ai portée encore plus, bercée, câlinée. J’ai mis en place un rituel du coucher à base de veilleuse, de berceuse, et tout le bordel. Elle avait donc 3 mois. Et rien n’y fit, point de nuits.

A 4 mois, la pédiatre auprès de qui j’avais osé me confier et qui m’avait franchement remballée (les parents n’étant pas son truc, nous l’avons surnommée « Le Dragon »), nous avait proposé les céréales dans le bib. Genre elle sera bien calée et après, hop, un bon dodo.

Alors elle a pris des bibs bien épais avec des bons morceaux de miettes de céréales. Bof.

À 5 mois, pauvre loque que j’étais, juste bonne à serpiller l’allée avec moi-même tellement je ne ressemblais à rien, et alors qu’elle hurlait encore une bonne partie de nos nuits, nous avons décidé d’être plus fermes et de la laisser pleurer. Nous pensions alors, pauvres imbéciles, que si elle se réveillait à 5 heures tous les matins, ce n’était pas normal, puisque tous nos amis avaient des enfants qui se réveillaient à 7h, voire 9h pour les plus fous d’entre eux. Et que de faire 22h-5h n’était pas une nuit. Nous l’avons donc laissée pleurer quelques fois. Puis voyant que ça ne changeait rien, j’ai à nouveau visité les forums, véritables viviers de solutions miracles (de mes deux). Et là, j’ai lu le mot magique, la révélation suprême : O-S-T-E-O.

« Ta fille a sûrement un truc qui la gêne depuis sa naissance, ouaien, c’est clair (à l’époque, le mot à la mode n’était pas « juste » mais « c’est clair »). Va voir un osteo, tu verras pour mon fils ça a été magique. C’est clair. Grave (deuxième mot à la mode en 2006) ». La vérité, je m’y voyais déjà, revenir avec elle, la poser dans son lit le soir après son dernier bib, et la voir s’endormir en 2-2.

Alors, on est allées chez l’ostéopathe. Ni chaud, ni froid.

Finalement, on a fini par admettre : 5h , c’était son heure. Enfin admettre a posteriori parce que sur le coup, quand tu n’as pas eu d’enfants auparavant, ça pique. On a bien tenté de la recoucher moult et moult fois, mais non.  « Dormir ?  Pour quoi faire ? » disaient ses yeux.

Après quelques années de terreurs nocturnes, de nuits agitées, de colères nocturnes aussi, et de grande culpabilité, j’ai fini, ne voyant pas d’autre traumatisme possible, par mettre son angoisse de la nuit sur le dos de sa naissance. Une naissance difficile que je tairais ici, par respect pour quelqu’un que je connais qui traîne dans le coin et qui devrait accoucher sous peu, je voudrais pas lui rafraichir la mémoire.
À la garderie que nous fréquentions une fois par semaine, on m’avait conseillé de lui parler, de lui raconter l’accouchement. Prétextant que ça pourrait la libérer, mettre des mots sur une souffrance tue jusque-là.

Alors je lui ai raconté sa naissance; le siège complet, l’oxygène, tout ça. Elle m’a bien écoutée, elle était très attentive. Et puis elle m’a dit : « Coti ? » (Goûter ? Gentil ? Écouté ?).

J’ai fini par savoir pourquoi elle dormait si peu, si mal et pourquoi la nuit était synonyme d’angoisse, et ce, grâce au Dragon : « C’est son talon d’Achiile, c’est comme ça et puis c’est tout. Elle a du mal à s’endormir, ça sera pareil à 14 ans. Vous aurez beau vous torturer à chercher le pourquoi du comment, c’est sa faiblesse. Un point c’est tout. ».

Ah, je comprends mieux.

Les choses ont changé lorsqu’elle a appris à lire. Quand elle disait qu’elle n’arrivait pas à dormir, on lui proposait de prendre un livre et de lire jusqu’à ce que ses yeux piquent et de s’endormir seule.

Aujourd’hui, elle a 9 ans et ça va mieux. Enfin, parfois, j’entends sa voix aigrelette qui m’appelle dans la nuit : « Maamaaaaaaaannnnnnnn????? ». Et là, je sais ce qui m’attend : le bruit bizarre, la bête qui vole, la faim, la soif, le mal de crâne, le grand écart facial. Ça va mieux, mais c’est pas gagné.

Ton bébé de 2 mois ne fait pas ses nuits ? Tu es au bout du rouleau ? T’inquiète, ça ira mieux quand il saura lire. Dans quelque temps.

19 réflexions sur “Marchand de sable

  1. ahhh les cauchemars, les terreurs nocturnes et les colères nocturnes …. on en a eu notre lot aussi. Jusqu’à ce qu’il se fasse opérer des amygdales à 4 ans …. ouf on peut enfin faire des nuits complètes maintenant …. sauf quand il cauchemarde, évidemment et quelques fois, plusieurs fois par nuit (3 fois cette nuit)
    Vivement le CP l’année prochaine !

  2. Ma mère me disait souvent : « toi et tes sœurs vous avez fait vos nuits en rentrant de la maternité »

    Je suis d’accord avec toi, c’est pas automatique !!
    Pour moi aussi un doublon
    Pour moi aussi une fille qui s’est longtemps réveillée à 5 h
    Là ça va mieux, elle dort jusqu’à 6 h en général, avec parfois des grasses mat’ jusqu’à 7 h 30 (Waouhhh)

    Elle rentre au CP, Ouf…. 🙂

  3. Et sinon, tu savais que les enfants dits « à haut potentiels » sont sujets à des angoisses nocturnes ? Oui, dès tout petits. Et que c’est justement l’un des symptômes qui permettent de les détecter… Parce que soyons clairs, être surdoué ça veut pas dire Malcom et Will Hunting, juste être « pluggé » différemment, réfléchir à plein (trop ?) de choses à la fois, etc. Combine ça avec la nuit, le noir et l’habitude de ne pas dormir (encore une fois, oui, même tout petit. C’est instinctif ces choses là) et tadaaa ! Ça fait des angoisses nocurnes ! (mais la dénomination « nuit de merde » est aussi couramment utilisée…). Enfin bref, une piste parmi tant d’autres. Moi j’ai été diagnostiquée sur le tard, ce qui m’a valu (entre autres joyeusetés…) de nombreuses et looooongues nuits de m… Sans sommeil. Bon courage hein !

  4. N°1 a fait ses nuits à 6 mois et a fait de grosses terreurs nocturnes à 3 ans
    N°2 a fait ses nuits à 18 mois, a aujourd’hui 3 ans, et met toujours des HEURES à s’endormir
    N°3 a fait ses nuits à 1 an je crois, mais se réveille encore régulièrement et finit dans notre lit au moins 2 fois par semaine. Et la nouveauté, il se met maintenant à nous faire des crises de colère à 2h du mat. J’ai dormi environ 4 heures cette nuit, en 3 ou 4 fois.

    Alors avec 2 d’un coup, j’imagine MÊME PAS
    Vas-y viens quand ils seront grands et qu’ils rentreront de boîte on les réveillera à 6h ❤

  5. Ici, l’osteo à marché. Sinon, son heure c’était et c’est toujours 6h.
    Maintenant qu’il sait lire, il bouquine dans son pieu jusqu’à 7h. Le week end, c’est mieux que rien.
    On attend l’adolescence (rire jaune).

    • Je n’irai pas jusque là, hein, je n’attends pas du tout l’adolescence, vu comme c’est parti on va en chier des ronds de chapeaux…

  6. Moi elle a fait ces nuits quand, après 1an de patience, j’ai osé mettre des boules quiess… quelle mère indigne mais ça a bien marché!

  7. hin hin hin
    toi tu m’as volé MA fille, dieu que je bénis sa psy qui l’année dernière :
    1) Nous a plaint,
    2) Nous a dit qu’avec la loustique qu’on a et le peu de sommeil depuis 8 putains d’années elle était étonnée même qu’on soit pas plus fatigués (nan mais en fait c’est pas possible plus fatigués)
    3) Nous a conseillé de lui mettre une lampe de chevet et de la laisser lire tout ce qu’elle veut autant qu’elle veut et elle éteint quand elle veut.
    Alors ok certains jours je culpabilise d’éteindre ma lumière avant elle (quoique) mais purée on dort des nuits complètes et notre lit n’est plus un lit familial

  8. Ici aussi coup double (2 ans et des brouettes). Pendant longtemps ils ont pleuré la nuit (sucette qui tombe ? gaz ? faim…)… en alternant, mais parfois ils se réveillaient tous les 2. J’ai essayé les céréales dans le bib du soir, l’eau de fleur d’oranger, les graines d’anis, les laisser pleurer…

    Ca a commencé à aller mieux quand on a été « consulter » dans un centre avec psy/educateur jeunes enfants… pour eux… mais c’est la famille toute entière qui était sur le canapé bien sûr. J’ai commencé à y parler de l’ambiance pourrie à la maison avec mon mari, des disputes, de mon envie de séparation… Quand la parole s’est « libéré », les choses ont avancé, les bébés ont dormi !! Victoire 🙂 (puis mon mari s’est trouvé un toit)…. Bon, là rebelotte avec l’entrée à la crèche + changement de rythme car ils voyaient leur père à la maison tous les jours puisqu’il y avait la nounou à domicile…. tout ça ça les travaille, alors en ce moment c’est quasiment « lit familiale » toutes les nuits. Je vais y aller au feeling comme je l’ai fait pour le sommeil de la nuit et l’endormissement.

    Moi j’ai mis mes boules quiès depuis le début (mais parce que je savais que de toute façon je les entendrais) 😀 … mais oui il faut clairement déculpabiliser !

  9. J’entends ma vieille tante dire « 22h00 5h00, c’est des horaires normaux, à la campagne quand j’étais gosse on dormait tous comme ça… ».
    c’est terrible ce manque de confiance en soi.

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