Jusqu’aux cuticules

cuticules

En ce moment je paye une dette karmique. Ce que j’expie je ne sais pas exactement, mais cela a forcément quelque chose à voir avec les moqueries intérieures dont je peux abreuver l’ensemble de mes contemporains tout au long de la journée. Cela dit je suis d’une grande lâcheté, ces réparties idéales ne quittent pas mon esprit sauf éventuellement pour atterrir dans mes différents groupes secrets Facebook où je ne risque pas de me prendre une bonne gifle, mais plutôt un like en faisant mon intéressante.

Non parce que depuis quelque temps les gens se croient autorisés à me sortir des monstruosités me concernant avec l’air détaché quand ça n’est pas simplement en rigolant un bon coup, voir en me collant littéralement un pain dans le dos, façon bourrade de connivence.

Ça a commencé avec le petit dernier qui passe en courant dans ma chambre, pile et me demande tout de go « Maman pourquoi tu as de grosses fesses molles? » alors que je ne suis même pas debout bon sang, une accusation non étayée de preuves, calomnie! Inutile alors de lui demander une explication puisqu’il avait repris sa course.

Au bureau, un type que je connais à peine qui se plante devant moi à l’imprimante et me jette « ah ouais toi tu as le genre de la fille qui va rester devant plantée à regarder clignoter « bourrage papier » sans comprendre pourquoi ses docs ne sortent pas ». Mortifiée je recharge l’imprimante (oui, bon ça va) et je retourne dans mon bureau.

Il y a quelques jours, sortant d’une fête avec mon amoureux, à cette heure fantastique où trouver un taxi dans Paris correspond à la sainte quête du Graal, c’est tout à la joie de monter dedans que je suis accueillie d’un « et sinon c’est vrai ces histoires d’envies chez les femmes enceintes ? ». Déconcertée, mais voulant faire bonne impression je réponds devant mon mec qui rigole déjà « euh ben moi parfois je ne VOULAIS (j’appuie bien sur l’imparfait) que des trucs blancs ». Pas démonté par cet avertissement donné sous la forme d’une conjugaison appropriée, le type y revient « Et sinon vous vomissez ou bien ? ». Je retiens péniblement un « ben ouais tout mon dîner sur ta banquette en cuir pleine fleur si tu continues à me gonfler » pour le remplacer avantageusement par un plus courtois « J’AI EU beaucoup de nausées au début de ma grossesse À L’ÉPOQUE, mais je ne m’en souviens pas bien parce que mon dernier enfant a CINQ ANS ». Prise de conscience du type qui me jette un œil un peu inquiet dans le rétroviseur sans doute dû à ma façon d’appuyer sur certaines syllabes comme une orthophoniste devant un patient particulièrement récalcitrant : « Ah en fait vous êtes pas enceinte ? (Bravo, voilà) Moi je pensais que vous étiez enceinte hein ? (j’avais comme vaguement compris) ».

Tout ça se finit hier chez l’esthéticienne chez qui je vais me faire manucurer. Déjà je replace le contexte : dans ces jolis salons, les femmes se déroulent en chenille, le long d’un bar chic, sur des tabourets de bar bien hauts, devant une brochette d’esthéticiennes coiffées, maquillées, bien roulées et bien évidemment manucurées tout bien. Ce qui me donne systématiquement l’impression d’arriver tel Jabba the Hutt avec une perruque de clown poser mes mains de bûcheron sur le bar. Faisant fi de ce sentiment je m’installe et choisis ma couleur sur laquelle on me félicite en m’assurant qu’elle est tout à fait appropriée pour la coupe du bois, ma profession. Tout à l’air de bien se passer, je me détends enfin lorsque soudainement mon esthéticienne pousse un cri « Han, mais c’est quoi ces énormes cuticules ? Viens voir Machine, j’ai jamais vu ça c’est fou ! Mais Madame, vous travaillez dans les produits chimiques ? » En 45 secondes, tout le salon y compris quelques clientes, sont au-dessus de mes mains, hochant la tête avec pitié.

Comptez pas sur moi dans les temps qui viennent pour balancer de la vanne…