Rentrer

Je voulais pas rentrer. Je voulais pas que ça s’arrête. Je voulais rouler encore, pendant des heures, m’abrutir de vitesse de froid de musique. Je voulais retarder le plus possible le moment de les retrouver, eux si chers à ma vie. Je voulais pas les voir, pas comme ça, je voulais pas qu’ils me voient, pas comme ça. Je voulais pas qu’ils se demandent pourquoi, pourquoi ce regard, pourquoi cette absence, pourquoi la ride sur mon front, le vide dans mes yeux, le tremblement dans ma voix, le froid sur ma peau et le froid dans mon cœur. Je voulais rouler encore et toujours plus vite. Je voulais pas voir le bout de la route, je voulais fumer et puis boire et puis plus rien entendre et plus rien sentir. Que le froid de dehors anesthésie mon corps.

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Et je finis par arriver quand même, parce qu’on peut pas partir comme ça, on peut pas inquiéter les autres, on peut pas prendre 30 minutes avant de rentrer pour aller boire une bière au bistrot du coin, au milieu des habitués et des poivrots, et être comme tous ces gens qui veulent pas rentrer chez eux. Je sais pas ce qu’ils cherchent eux, moi je voulais juste pas ramener tout ça chez moi. Pas la tension, pas la crise, pas le mal-être et pas la maladie. Pas mes échecs. Pas mes questions. Pas mes doutes.

J’ai échoué, c’est aussi simple que ça. Pas tout le long, pas sur tout, mais j’ai échoué avant de partir, avant de quitter l’endroit de mes apprentissages, de mes essais, de mes tâtonnements, de mes réussites parfois, de mes échecs ce soir.

Rien de bien grave, rien qui ne saurait être résolu, mais pas par moi. J’ai essayé, et je suis tombée à côté. C’est pas si grave, c’est comme ça qu’on apprend, mais ces jeunes là, tout cabossés, tout fragiles, ils s’en foutent eux qu’on essaie, qu’on se plante, qu’on fera mieux demain. Demain ils seront encore là, avec leurs problèmes, avec leurs angoisses et moi et mes foutues crises de conscience égocentriques n’y changerons rien.

Alors je passe tout ce temps à réfléchir. À me questionner. Est-ce que je doute ? Non. Est-ce que je suis déçue ? Oui. Est-ce que je pensais y arriver ? Est-ce que j’avais la prétention de penser qu’avec mes 4 mois d’expérience je sauverai la Terre et tous les maux ? Visiblement. La limite entre le manque et l’excès de confiance en soi, finalement, elle est où ? Est-ce que tout ça ne serait pas qu’une dérangeante question d’orgueil finalement ? C’est possible.

On dit souvent qu’on ne fait pas ces métiers par hasard, le soin, le social. Alors pourquoi ? Une volonté de réparer, de se réparer. Pas sûre que ce soit une bonne raison. Syndrome du sauveur. Est-ce que c’est pour ça que je fais ce métier ? Qu’est-ce que j’espère réparer ? Et qui ?

Au final j’en sais rien. Mais est-ce que ça compte vraiment.

Il y a des journées plus compliquées que d’autres alors qu’à première vue tout semblait rouler. Des soirs plus compliqués. Des retours à la maison plus longs. À la réalité. Au quotidien. Je suis pas encore sortie de ma journée. Je sais pas si je vais y arriver. C’est le risque avec ce boulot. On se donne en entier et des fois on en laisse un morceau là-bas. Des fois on en ramène un peu trop. J’essaie de penser, de revoir, d’analyser, et j’en suis au même point.

J’ai fini de rouler mais j’ai toujours envie de bruit, plus de bruit plus de froid plus d’alcool plus de clopes. Toujours envie de couvrir les bruits du dedans, les sensations du dedans, les émotions, les traces, tous les sillons dans la journée creusés qui se font crevasses et ma peau dévastée. Je veux les embuer, les rendre flous. Je veux les effacer, qu’on en devine presque plus rien, les déposer et mettre dessus des couches de brouillard, des manteaux de coton, des tonnes de neige. Et puis laisser encore un peu, suffisamment, jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Il est temps de dormir.

Ma chance retrouvée 

Il y a un an presque tout pile, j’ai écrit ça. Je viens juste de retomber dessus, et j’avais complètement oublié. Je sais plus suite à quoi j’ai écrit ça, je sais plus ce qui m’était passé par la tête. Je me souviens l’avoir écrit une nuit, quand j’étais veilleuse. Je travaillais de nuit dans une maison de retraite et j’avais quelques moments de calme entre 3 et 4 heures du matin. 

Je ne me souviens pas trop du contexte. Je me souviens avoir été triste et puis un peu heureuse, pleine de regrets et puis résolue. J’étais je sais pas. Bien, oui, certainement. J’étais autre, je crois. 

Pardon ma chance. 

Pardon de t’avoir trahie, de t’avoir trompée

J’ai cru que c’était simple, que c’était facile et que c’était acquis

J’ai cru que je le méritais et que je méritais encore plus et toujours plus

Pardon ma chance de t’avoir craché à la gueule, d’avoir usé abusé mangé tout pris engouffré déchiré abîmé et d’avoir rien laissé, d’avoir rien rendu, d’avoir pas dit merci, d’avoir juste dit encore 

Aujourd’hui je te vois je te suis je te sais 

J’ai déjà tant laissé, je veux plus rien gâcher

Pardon ma chance, je ne te trahirai plus. 

Stéphane, la lune, et la vie ordinaire

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Dessin par Mathou

J’étais au collège. En quatrième je crois bien. Cette année là il y a eu un nouveau dans notre classe. Stéphane. Les nouveaux, on est jamais bien tendres avec eux. Et moi à cette époque, je ne faisais pas exception. Je souffrais de « aimez-moi par pitié »-ite chronique. Alors je faisais tout comme ceux qui étaient populaires. Je suivais les chefs et je constituais la première ligne de leur meute. On est con hein quand on est ado, pas terrible, plutôt bon en cours et tellement pas sûr de soi. Quoi qu’il en soit, je suis vraiment pas fière de celle que j’étais à cette époque. Et puis un jour donc, Stéphane est arrivé dans notre classe. Stéphane, il était « bizarre ». On se regardait en se faisant de gros yeux ronds quand il était par là, comme un langage secret, comme un échange codé entre ceux d’un groupe dont il ne ferait jamais parti. Il avait ce pull affreux qu’il mettait souvent. Un truc tricoté main qui représentait Gaston Lagaffe.

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L’amour d’une mère

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Dimanche matin, 7h. J’envoie un nuage de laque dans les cheveux de ma fille. De si petits cheveux, une si petite fille. Enfin, je crois, parce qu’en réalité elle a tout de même 9 ans 3/4. Elle a découvert les fractions, il y a peu.

Elle baille, et bavarde. Regarde son cerceau, repasse la liste dans sa tête : laque, peigne, pointes, justaucorps, barrettes « clap », barrettes chignon, bouteille d’eau.
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Chambre 12

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Il est 3 heures. Je viens à l’instant de finir la lecture de Vernon Subutex. Depuis le temps que je l’avais, j’avais eu le temps de le lire. Enfin si, je l’avais eu, je l’avais juste jamais pris. Je préférais me gaver de séries mal traduites et de films pas encore sortis.

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Une si grande tristesse

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Ce n’est pas que je n’ai plus rien à dire mais je n’y arrive plus. Au contraire j’aimerais parler tout le temps, parler aux vivants, à ceux que j’aime, à ceux que je regarde grandir, parler, parler, parler encore.
J’ai essayé souvent depuis d’écrire quelque chose de drôle, quelque chose de léger, de raconter toutes ces choses nouvelles et bonnes qui sont arrivées dans ma vie depuis, mais je n’y arrive plus.
Une fois posés sur le papier, les mots me paraissent vains, les rires contraints, les indignations moutonnières.

Ma vie a changé, pas la mienne seulement d’ailleurs, mais celle de ma ville et dans une moindre mesure celle de mon pays. Je suis triste pour toujours, ce n’est pas grandiloquent c’est une constatation. J’en fais deux quasi quotidiennement, la première, « quelle chance j’ai d’avoir vécu 45 ans dans un pays en paix », la seconde « je suis triste pour toujours ».
Cette tristesse qui me vient comme un rideau trop lourd qui tomberait sur mes pompes c’est tous les jours. Alors bien sûr il suffit que je tourne au coin de la rue pour matérialiser ça par quelques fleurs et les dernières bougies posées sur le trottoir mais pas seulement.

C’est écouter mon fils de 7 ans me dire que les rues sont vides pour Noël « sûrement parce que les gens ont préféré aller dans des villages sans terroristes pour Noël maman ». L’entendre me dire cela comme si ce mot faisait partie de son quotidien, sans appréhension particulière, sans émotion spectaculaire, comme il dirait « sûrement parce que les gens ont préféré aller dans des villages sans voitures pour Noël maman ».
C’est entendre ses petits copains répondre « des terroristes », fiers de gagner un point, à la question « que trouve t’on dans le parc en bas de chez toi ? », à un jeu de société. Leur indiquer que quand même bon ce n’est pas vraiment une bonne réponse, les voir tous dire que si, que d’ailleurs les terroristes étaient en bas de chez eux donc le parc aussi.
C’est ne plus jamais m’asseoir dos à la baie vitrée au resto ou au bar, avoir appris à dîner côte à côte avec certain(e)s, ne même pas en faire un sujet.
C’est regarder une vidéo du futur album live de Fauve, voir un extrait du magnifique concert au Bataclan où j’étais le 26 septembre avec mes enfants et puis pleurer en voyant des gens très jeunes l’air hilare avec les bras en l’air.
C’est avoir l’impression de vivre dans une dimension parallèle de celle où les gens s’agitent pour un accent circonflexe. Je ne m’estime pas au dessus, juste à côté.

Dans ma dimension il y a des militaires en arme devant l’école de mes gosses depuis 3 mois, des gens qui s’arrêtent de parler dés que sonne une sirène, encore deux impacts de balle dans la fenêtre de la boulangerie qui n’a jamais réouvert et sur lesquels quelqu’un a dessiné une larme.
Dans ma dimension il y a ce fatalisme qui est devenu une de mes qualités d’angoissée pathologique et qui me met dans le RER tous les matins et tous les soirs aux heures de plus grande pointe.
Dans cette dimension je n’ai pas envie de vous emmener si vous y avez échappé et je ne sais plus écrire autre chose.

Alors je reste avec les miens, face à la baie vitrée, dans le RER, dans une salle de concert avec mes enfants, je dis bonjour le matin aux militaires, et je vous dis à un de ces jours.

Après la nuit, avant le jour

Le temps

Les Moukraines, c’est un peu vous, et beaucoup nous. C’est un peu de moi, un peu celle que j’étais, celle que je pense être, et surtout celle que je voudrais rester. C’est des gens qu’on croise, et puis des gens qu’on aime. C’est des femmes, des filles, des meufs et des nanas, des mères, des pas que, des qui bossent et qui ont pas que ça à foutre,
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Résolue

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Faut que je vous dise, quand même. Je n’ai pas pour habitude de faire des résolutions à la mords-moi-la-teub pour l’année qui commence. Mais l’an dernier, le 31 décembre 2014 pour être plus précise, j’ai fermé les yeux et j’ai pensé très fort : « Le 31 décembre 2015, je fêterai le réveillon du jour de l’an, je le jure ». Foi de morue.
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T’étais comment ?

t'étais comment

Je me demande tu vois je me demande t’étais comment ?
Est-ce que tu aimais bien que ta mère te serre fort dans les bras, qu’elle prenne ta défense quand ton frère essayait de te piquer des trucs, des jouets, te tirait les cheveux en douce.
T’étais comment t’avais peur du noir ou pas ? Tu aimais quoi au petit déjeuner, les céréales qui font scrountch dans le bol, qu’on mange vite vite avant qu’elles soient molles dégueulasses. Ou t’aimais plutôt les baguettes un peu grillées avec des choses dessus, de la confiture qui colle un peu au coin des lèvres, que ta mère essuyait avec un bout de sopalin avant que tu partes à l’école, même que parfois elle léchait le sopalin et en vrai tu trouvais ça vraiment gerbant ?
T’étais comment comme petit garçon en fait ? Tu étais tout doux un peu timide avec un petit sourire de traviole sur la photo de classe ou alors biscotos en avant, qui court comme une fusée dans la cour, un ballon collé au pied, qui parle trop fort, qui fait son malin ?
T’aimais quoi ? T’aimais les films qui font un peu peur qu’on regarde du couloir quand les parents croient qu’on est couché ? T’aimais plutôt les animés japonais avec les filles qui tournent avec des cheveux de couleurs improbables qui ont l’air tellement libres même si on comprend pas pourquoi elles tournent ?

Elle disait quoi ta mère ? Elle te disait comment c’est la tolérance, la justice, le respect qu’on fout à toutes les sauces ? Elle t’enseignait à sa façon le bien le mal les trucs à la con genre ce qu’on peut faire ou pas ? Et ton père il en pensait quoi ? Et toi tu pensais quoi d’eux ? Et sinon t’aimais bien la pizza ? T’écoutais quoi comme musique, c’est quoi ce qui te faisait kiffer là tu sais quand on commence à devenir une personne selon ce qu’on écoute, quand on commence à s’aimer selon ce qu’on aime mettre à fond dans nos casques en prenant des airs un peu mécontents, un peu sérieux, genre on est des adultes c’est bon quoi ?
T’étais comment avec les copains, le genre sympa qu’on appelle pour régler des trucs chiants qui tempère les conflits ou plutôt celui à qui on demande de venir pour taper la baston?

T’étais comment ce matin quand t’as mis tes fringues noires, t’as passé ta main dans tes cheveux avant de mettre ton bonnet. T’étais comment quand t’as mis ta ceinture sous ton teeshirt, tu te sentais fier, un peu anxieux? T’as eu envie d’appeler ta mère ou pas ? T’étais comment quand t’as pris ta kalach, ça t’a fait quoi de voir les gens tomber par terre ? Cette fille là dont la tête est tombée sur la table tu l’as vue ? La maman de Lucie qui prenait un pot qui a des éclats de son verre de bière entre les dents tu l’as entendue appeler Lucie ? T’étais comment quand le sang coulait le long de la terrasse, t’as entendu les cris ou tu chantais dans ta tête comme quand on était petits et qu’on voulait pas entendre l’engueulade. Je t’ai pas parlé de Dieu et toi parce que je sais pas comment t’étais avec lui, je suis pas sure que tu le connaissais bien, je voudrais pas te mettre dans l’embarras et puis en plus ce soir tu vois je m’en fous de comment tu le voyais parce que visiblement tu l’avais pas beaucoup écouté.

Je me demande à quoi elle pense ce soir ta mère, je pense beaucoup à elle aussi.