Une si grande tristesse

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Ce n’est pas que je n’ai plus rien à dire mais je n’y arrive plus. Au contraire j’aimerais parler tout le temps, parler aux vivants, à ceux que j’aime, à ceux que je regarde grandir, parler, parler, parler encore.
J’ai essayé souvent depuis d’écrire quelque chose de drôle, quelque chose de léger, de raconter toutes ces choses nouvelles et bonnes qui sont arrivées dans ma vie depuis, mais je n’y arrive plus.
Une fois posés sur le papier, les mots me paraissent vains, les rires contraints, les indignations moutonnières.

Ma vie a changé, pas la mienne seulement d’ailleurs, mais celle de ma ville et dans une moindre mesure celle de mon pays. Je suis triste pour toujours, ce n’est pas grandiloquent c’est une constatation. J’en fais deux quasi quotidiennement, la première, « quelle chance j’ai d’avoir vécu 45 ans dans un pays en paix », la seconde « je suis triste pour toujours ».
Cette tristesse qui me vient comme un rideau trop lourd qui tomberait sur mes pompes c’est tous les jours. Alors bien sûr il suffit que je tourne au coin de la rue pour matérialiser ça par quelques fleurs et les dernières bougies posées sur le trottoir mais pas seulement.

C’est écouter mon fils de 7 ans me dire que les rues sont vides pour Noël « sûrement parce que les gens ont préféré aller dans des villages sans terroristes pour Noël maman ». L’entendre me dire cela comme si ce mot faisait partie de son quotidien, sans appréhension particulière, sans émotion spectaculaire, comme il dirait « sûrement parce que les gens ont préféré aller dans des villages sans voitures pour Noël maman ».
C’est entendre ses petits copains répondre « des terroristes », fiers de gagner un point, à la question « que trouve t’on dans le parc en bas de chez toi ? », à un jeu de société. Leur indiquer que quand même bon ce n’est pas vraiment une bonne réponse, les voir tous dire que si, que d’ailleurs les terroristes étaient en bas de chez eux donc le parc aussi.
C’est ne plus jamais m’asseoir dos à la baie vitrée au resto ou au bar, avoir appris à dîner côte à côte avec certain(e)s, ne même pas en faire un sujet.
C’est regarder une vidéo du futur album live de Fauve, voir un extrait du magnifique concert au Bataclan où j’étais le 26 septembre avec mes enfants et puis pleurer en voyant des gens très jeunes l’air hilare avec les bras en l’air.
C’est avoir l’impression de vivre dans une dimension parallèle de celle où les gens s’agitent pour un accent circonflexe. Je ne m’estime pas au dessus, juste à côté.

Dans ma dimension il y a des militaires en arme devant l’école de mes gosses depuis 3 mois, des gens qui s’arrêtent de parler dés que sonne une sirène, encore deux impacts de balle dans la fenêtre de la boulangerie qui n’a jamais réouvert et sur lesquels quelqu’un a dessiné une larme.
Dans ma dimension il y a ce fatalisme qui est devenu une de mes qualités d’angoissée pathologique et qui me met dans le RER tous les matins et tous les soirs aux heures de plus grande pointe.
Dans cette dimension je n’ai pas envie de vous emmener si vous y avez échappé et je ne sais plus écrire autre chose.

Alors je reste avec les miens, face à la baie vitrée, dans le RER, dans une salle de concert avec mes enfants, je dis bonjour le matin aux militaires, et je vous dis à un de ces jours.

Après la nuit, avant le jour

T’étais comment ?

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Je me demande tu vois je me demande t’étais comment ?
Est-ce que tu aimais bien que ta mère te serre fort dans les bras, qu’elle prenne ta défense quand ton frère essayait de te piquer des trucs, des jouets, te tirait les cheveux en douce.
T’étais comment t’avais peur du noir ou pas ? Tu aimais quoi au petit déjeuner, les céréales qui font scrountch dans le bol, qu’on mange vite vite avant qu’elles soient molles dégueulasses. Ou t’aimais plutôt les baguettes un peu grillées avec des choses dessus, de la confiture qui colle un peu au coin des lèvres, que ta mère essuyait avec un bout de sopalin avant que tu partes à l’école, même que parfois elle léchait le sopalin et en vrai tu trouvais ça vraiment gerbant ?
T’étais comment comme petit garçon en fait ? Tu étais tout doux un peu timide avec un petit sourire de traviole sur la photo de classe ou alors biscotos en avant, qui court comme une fusée dans la cour, un ballon collé au pied, qui parle trop fort, qui fait son malin ?
T’aimais quoi ? T’aimais les films qui font un peu peur qu’on regarde du couloir quand les parents croient qu’on est couché ? T’aimais plutôt les animés japonais avec les filles qui tournent avec des cheveux de couleurs improbables qui ont l’air tellement libres même si on comprend pas pourquoi elles tournent ?

Elle disait quoi ta mère ? Elle te disait comment c’est la tolérance, la justice, le respect qu’on fout à toutes les sauces ? Elle t’enseignait à sa façon le bien le mal les trucs à la con genre ce qu’on peut faire ou pas ? Et ton père il en pensait quoi ? Et toi tu pensais quoi d’eux ? Et sinon t’aimais bien la pizza ? T’écoutais quoi comme musique, c’est quoi ce qui te faisait kiffer là tu sais quand on commence à devenir une personne selon ce qu’on écoute, quand on commence à s’aimer selon ce qu’on aime mettre à fond dans nos casques en prenant des airs un peu mécontents, un peu sérieux, genre on est des adultes c’est bon quoi ?
T’étais comment avec les copains, le genre sympa qu’on appelle pour régler des trucs chiants qui tempère les conflits ou plutôt celui à qui on demande de venir pour taper la baston?

T’étais comment ce matin quand t’as mis tes fringues noires, t’as passé ta main dans tes cheveux avant de mettre ton bonnet. T’étais comment quand t’as mis ta ceinture sous ton teeshirt, tu te sentais fier, un peu anxieux? T’as eu envie d’appeler ta mère ou pas ? T’étais comment quand t’as pris ta kalach, ça t’a fait quoi de voir les gens tomber par terre ? Cette fille là dont la tête est tombée sur la table tu l’as vue ? La maman de Lucie qui prenait un pot qui a des éclats de son verre de bière entre les dents tu l’as entendue appeler Lucie ? T’étais comment quand le sang coulait le long de la terrasse, t’as entendu les cris ou tu chantais dans ta tête comme quand on était petits et qu’on voulait pas entendre l’engueulade. Je t’ai pas parlé de Dieu et toi parce que je sais pas comment t’étais avec lui, je suis pas sure que tu le connaissais bien, je voudrais pas te mettre dans l’embarras et puis en plus ce soir tu vois je m’en fous de comment tu le voyais parce que visiblement tu l’avais pas beaucoup écouté.

Je me demande à quoi elle pense ce soir ta mère, je pense beaucoup à elle aussi.

Prends ça

prends ça

“Tu baisses les yeux sinon je t’en colle une, TU BAISSES LES YEUX”.

Je suis en train d’attacher mon enfant à l’arrière de la voiture, je relève les miens, je croise les tiens, ils sont suppliants “ne dis rien, ne fais rien, ce sera pire sinon”.
J’entends le bruit sourd de sa main qui vient s’écraser sur ton crâne, je vois ta cheville qui dévisse du trottoir, je l’entends qui continue de te hurler dessus. Lire la suite

Le vélo (Jeannie Longo m’a tuer)

vélo

Voilà on est en vacances à la cool, on a repris le sport depuis janvier, on ne se sent plus pisser et on décide après 20 ans de pause qu’on va se faire une petite journée vélo tranquillou-bilou…
Sur le bateau qui nous emmène au Cap Ferret c’est la grosse rigolade, ambiance de pub des années 80 avec famille hilare, cheveux aux vents, tenue sportive, mais chic (ben ouais on va au cap Ferret quand même), regards tendres vers enfants, tout le monde s’aime, c’est beau. Lire la suite

L’avis de les gens

l'avis de les gens

En général quand on traverse de gros changements ou qu’on doit prendre de grandes décisions (au choix s’installer avec quelqu’un, déménager, le quitter, commencer le running, etc) on se rapproche de “les gens” pour avoir leurs conseils et on récolte le plus souvent leurs avis. Malheureusement, l’avis de les gens est inversement proportionnel à ce dont tu as besoin pour te soutenir ou te guider. Un exemple ? “Hanlalalala je ne peux pas rester dans ce boulot ils m’ont clairement fait comprendre par lettre recommandée avec AR qu’ils attendaient mon départ avec impatience pour entamer une chenille à poil sur mon bureau après y avoir installé la nièce du boss, qu’est-ce que je peux faire ?”. Les gens : “Moi en 1978 il y avait le plein emploi on quittait pas son bureau comme ça sur un coup de tête parce qu’il était trop petit en mettant toute sa famille en danger”. Ah oui voilà, c’est important de le préciser, l’avis de les gens est souvent assorti d’un jugement de valeur bien culpabilisant et qui implique qu’au mieux tu fais une connerie, et qu’au pire tu vas entrainer ta famille pour 3 générations dans la ruine, la rue et la dépravation morale. Lire la suite

Ta mère que je ne suis pas

ta mère

C’est dur n’est-ce pas ? La famille Ricoré pleine de grâce des magazines féminins s’est pris un gros uppercut chez nous. C’est compliqué de vivre ensemble dans notre si petit appartement parisien, compliqué pour moi de croiser ton regard noir, perpétuellement en colère contre moi, compliqué pour toi de croiser mon agacement, ma mauvaise foi dès que je te frôle.
Tu as presque 14 ans et déjà dix années passées à mes côtés, dix années fatigantes à m’ignorer souvent, m’éviter parfois, me détester aussi. Lire la suite

La philosophie et la poule, selon mon beau-père

Patrick

Un soir on se roule des pelles à l’arrière d’un taxi, quelques mois plus loin on baise comme des lapins sans capote un peu bourrés après un concert de LCD Soundsystem et pouf on est 5 ans plus tard et Patrick est notre beau-père et le grand-père de nos enfants…

On ne peut pas prévoir Patrick quand on rencontre quelqu’un, il n’y a pas de guide, pas de signaux d’alarme, pas de lanceurs d’alerte ou de site internet avec les avis des consommateurs avertis. On aime quelqu’un on le trouve drôle, chouette, avec de belles fesses et qui chante hyper bien les Bee Gees, mais c’est le fils de Patrick. Patrick c’est un pot-pourri de l’humour de Thierry Roland, la diplomatie de Bernard Tapie, le féminisme de Patrick Sébastien et la pédagogie de Marcel Ruffo, si, ça existe, je vais deux fois par an en vacances chez lui, je sais ce que je dis.

Au début Patrick est discret, surtout qu’il en a vu passer d’autres et que donc il n’est pas en mode open bar, il est en phase d’observation-discrétion-évaluation.

À la mairie Patrick se doute de quelque chose d’éventuellement parti pour un minimum de pérennité, il ronge son frein, cordial, je pourrais croire que j’ai gagné le gros lot. D’ailleurs je le crois, je suis drôlement contente, de tout, le million, le million !

À la naissance des enfants, je commence à comprendre qu’il y avait anaconda sous le caillou et que finalement c’est un million d’emmerdements, de “je prends sur moi” et de soupirs intra-dedans de moi même qui m’attendent à chaque retrouvailles familiales.

L’allaitement, cet acte pourtant d’une banalité confondante, a du être inventé pour justifier l’explosion des familles, les guerres et la peine de mort. Patrick a énormément d’avis sur l’allaitement :
Comment il doit se prodiguer, en gros surtout pas comme je veux mais comme ça le fait moins chier et à quelle fréquence : “déjà tu lui donnes ? Mais il sort de table enfin !” (notez l’exceptionnelle expression usitée pour l’occasion, j’en rigole encore toute seule quand je vois un bébé venir à table chez mes copines allaitantes).
Globalement Patrick a énormément d’avis sur la pédagogie tout court dont le principal est “c’était mieux avant et pis c’est tout”. À savoir qu’avant, pour Patrick, c’était les bonnes femmes qui s’occupaient de tout et qu’on venait pas nous emmerder à nous demander des choses incongrues de pédé du cul comme, par exemple, porter un peu le bébé chacun son tour ou raconter une histoire à la con avec des voyous gauchistes qui enlèvent les enfants et construisent des orphelinats staliniens avec des tours en forme de bonnet (les 3 brigands NDLR) et les garçons, ça joue avec des trains pis des voitures, ou à défaut des bétonnières. Je me souviens avec une joie cruelle de sa mâchoire tombante quand notre grand s’empara avec une avidité non dissimulée d’un joli costume de fée dans un magasin, courant avec son chapeau pointu en tulle et sa baguette en hurlant “je suis une fée je suis une fée” et en public s’il vous plaît.

Patrick a aussi beaucoup d’avis sur la politique, le foot et les jeux télévisés. Remarquez c’est normal vu qu’il passe l’essentiel de sa journée à regarder tout ça devant ses télés (une par pièce de la maison) avec le volume sonore d’un TGV qui passerait à pleine vitesse dans ton salon, que les enfants soient là ou non. Il n’aime pas trop trop qu’on ne soit pas d’accord avec lui, il n’aime pas non plus qu’on ne s’intéresse pas au sport et il déteste souverainement qu’on sache mieux que lui les réponses aux dits jeux télé. Pas de bol pour moi je suis un combo des trois items précédents. Si au moins j’aimais la bonne bouffe (le gras et surtout la viande), rigoler un peu (le kir) et me détendre (jouer au loto) mais je suis une bobo chiante de peine à jouir qui bouffe bio, boit du rooibos et bouquine sans fin, la plaie !

Enfin Patrick aime avoir raison, en toutes circonstances, même quand il ne sait pas, presque plus quand il ne sait pas. Récemment à la fin d’un dîner, après m’avoir expliqué pourquoi ma meilleure amie qu’il ne connaît pas n’avait pas envie de retrouver un mec (cette féministe à moustache), il a informé l’ensemble de la tablée que même les poules n’avaient pas besoin de coq pour faire des poussins. Et oui, des siècles qu’on s’interroge sur l’oeuf et la poule alors que Patrick dans l’ombre cachait son jeu, le coq ne sert à rien. À méditer.

Tu nous entends le brouillard, tu nous entends ? Si tu nous entends…

brouillard-EXCEL

Voilà au moment où vous lirez ces lignes je serai dans le brouillard, celui que j’espère bienveillant d’un anesthésiste pas trop bourré mais globalement je suis dans le brouillard depuis quelques temps.
A force de travailler sur le projet d’avoir un projet j’ai toujours pas de projet et la ligne d’horizon de la fin des générosités de mon ami pôle emploi se profile de plus en plus clairement. Du coup c’est mon amoureux qui travaille sur le projet d’avoir un projet et il en a plusieurs sur le feu. Actuellement plusieurs postes et points de chute sont même d’actualité.

Avec ma coolitude légendaire j’ai donc créé un tableau excel avec les destinations possibles et l’ensemble des critères intervenant dans les choix que nous aurons à faire, je n’ai pas lésiné, une quinzaine de critères avec leurs amis les coefficients sont donc venus remplir ce joli tableau. Oui le coefficient c’est important pour pondérer vois tu (je te tutoie, ce sont les nerfs qui lâchent). L’exemple le plus sympa pour illustrer c’est celui de la ville qui recueille – – (double moins donc pour ceux qui ne sont pas des habitués des tableaux de critères ou de l’eurovision), ce qui en gros veut dire “je préférerais être exposée publiquement en crocs avec un ensemble desigual plutôt que d’habiter là”. Cette ville par le jeu des coefficients et de leur pondération arrive donc brillamment quatrième sur 15 parce que je pourrais y trouver un emploi et qu’elle a un réseau de tramway bien organisé, donc je m’y suiciderais certainement mais avec une mutuelle d’entreprise et un accès rapide pour les secours. Bien bien utile ce tableau excel dis donc !
En attendant, il est en ce moment tout à fait possible de me contacter pour vous documenter sur les mérites et taux du marché immobilier d’un grand nombre de villes, je vous renseignerai également bien volontiers sur le nombre de bibliothèques, l’état du cinéma art et essai, le taux de réussite au bac, le dernier passage de Benjamin Biolay, les producteurs bios locaux, les infections nosocomiales dans le système de santé et la pluviométrie annuelle, pour 15 villes DONC.
Mais dans l’immédiat on ne sait pas où on va atterrir, et ça fait bientôt 3 mois que ça dure, ce qui, pour quelqu’un doué de ma patience et de mon goût très prononcé pour le contrôle est compliqué, pour ne pas dire ingérable pour moi et l’entourage. Sachez tout de même que la pratique régulière de l’insomnie entre 5 heures et 6h30 du matin n’est pas utile pour grand chose.

Pour agrémenter la période, et sûrement en partie grâce à ma sérénité d’esprit, un éminent spécialiste à 80 boules le rendez-vous a considéré opportun de visiter mon tube digestif à l’aide d’une caméra. Qui ne tente rien machin dit le dicton, j’ai donc réclamé, forte de tout l’enthousiasme qu’a déclenché cette demande, “ah oui mais moi j’ai jamais eu d’anesthésie générale alors j’en veux pas”. Oui, mais non m’a répondu le ponte du tube. Suivi d’un petit monologue de sa part dont il est ressorti que j’étais, soi-disant, une fausse calme qui finirait par lui mordre la main en plein examen, sans doute en hurlant, qui sait en tentant de m’enfuir en chemisette cul nu après avoir assommé une ou deux personnes.
Bon.
J’ai donc rencontré l’anesthésiste pour, je cite, me “rassurer et répondre à toutes mes questions et arriver sereine le jour de l’examen”. Alors est-ce que quelqu’un peut m’expliquer pourquoi ces gens sont, majoritairement, désagréables, incompréhensibles ou visiblement sociopathes ? Bourru, les crottes d’oeil incrustées depuis sans doute plusieurs mois, semblant à peine sorti de la boîte de nuit où il a fumé 4 paquets de gauloises pendant une dégustation de whiskys, il me prend avec une gentille petite heure de retard. Il m’a posé 5 questions dont 3 fois “et dans les dents là pas d’appareil, de dentier ?”, euh non c’est assez rare à mon âge d’une part et encore plus qu’on m’en ait posé un pendant le rdv hein ? Il a répété 11 fois (oui j’ai compté) “ça va aller, tout va bien se passer”. Je suis ZEN, je me sens drôlement sereine à l’aube de l’examen. Je pense juste qu’être payé pour endormir des humains ça doit te décourager d’essayer de leur taper la causette puisqu’ils finissent invariablement par te répondre « ronpiche » en bavant. J’essaye de lui trouver des excuses.

Voilà, si tout va bien on se retrouve après le brouillard et même en sachant où j’habiterai dans 3 mois, ça va aller, tout va bien se passer !

Dans le monde d’avant

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Dans le monde d’avant j’ai 8 ans et je vais et reviens seule de l’école. Moi j’habite là haut aux grands chênes et j’aime bien. J’aime bien être au 3ème dans le petit immeuble entouré des 2 grands. J’aime bien partir le matin avec Valérie qui passe me prendre du 4ème et aller attendre Djamila au pied du grand immeuble. On serpente le long de la cité jusqu’à l’école et c’est pas un gros mot, c’est notre cité, elle est chouette.

Plusieurs fois par an on m’invite le vendredi soir chez Valérie, c’est un genre de fête, sa grand mère nous donne de la limonade très sucrée, elle a des numéros sur le bras, ça m’intrigue, “c’est l’holocauste” nous dit la maman de Valérie avec l’air très sérieux. Quand on voit des gens tatoués avec Valérie on pense qu’eux aussi ils ont “l’holocauste” et on prend l’air sérieux. On va aussi chez Djamila mais pas trop souvent parce que sa maman a déjà bien à faire avec ses frères et soeurs elle dit Djamila. Pourtant quand on y va c’est comme si ça lui faisait deux enfants de plus à sa maman, elle nous donne des gâteaux plein de miel qui collent les doigts et aussi des prince et du banga. Quand elles viennent chez moi il y a toujours du monde, des tas de gars avec des cheveux longs et des filles en jeans qui fument, des gens qui parlent forts et qui s’engueulent ou qui chantent des trucs anglais. Nous on préfère vachement Karen Chéryl et Joe Dassin alors on va dans ma chambre et on fait des chorégraphies. En plus moi j’ai pas la télé en couleurs alors souvent on remonte chez Valérie pour regarder les dessins animés de récré A2 ou des visiteurs du mercredi et puis chez elle il y a des rices crispies qu’on mange avec du cacolac alors que bon chez moi le gouter est pourri.

Dans le monde d’avant on s’est jamais parlé de Dieu, je crois qu’on ne sait même pas qu’on n’a pas le même et que d’ailleurs moi j’en ai deux. On s’en fout, on a toutes des cadeaux à Noël, sans doute pas les mêmes mais on échange. On mange pas tout à fait la même chose, on trouve ça super mieux chez l’autre, évidemment.

On grandit, j’ai une jupe à volant turquoise, Valérie fuschia, Djamila moutarde. C’est l’été on part en colonie sauf Djamila qui va  “oblaide”, c’est le nom du village de sa grand-mère en Tunisie. On se raconte à la rentrée les premiers amoureux, les seins qui poussent, l’assistant d’anglais Peter qui est tellement canon, il a une mèche sur l’oeil.
Dans le monde d’avant, on s’en fout complètement de la politique, à part Le Pen qui est un gros raciste et qui nous fait rigoler quand il passe, souvent, à la télé, on l’imite dans la cour du collège, pas devant les parents parce que ça les fait pas rire, on met des badges de « touche pas à mon pote », on prend le train pour aller à Paris voir les concerts de SOS racisme avec mon père qui veut bien nous accompagner.
Les différences on s’en tape, éventuellement on les chante comme Jean-Jacques Goldman que je trouve trop beau avec sa cravate en cuir, mais je le dis pas trop parce que je suis New wave et que ça va pas bien avec, Djamila pareil parce qu’elle est funky, Valérie elle est bab alors elle trouve qu’il faut accepter tous les styles.

Dans le monde d’avant on parle des mecs qu’on aura un jour, peu importe leur origine s’ils ont du style, s’ils sont branchés et qu’ils aiment bien regarder Dechavanne. On parle des enfants qu’on va faire avec eux mais on se demande si ça fera mal de les faire et aussi de les sortir, on rigole. On leur cherche des prénoms mais des biens,  pas comme les nôtres, deux Fabienne en 3ème C, trois Valérie et deux Djamila. Non, des prénoms qui racontent l’histoire de nos familles plutôt, ça ça fait classe.

Dans le monde d’avant on n’imagine pas ce jour de janvier où on regrettera les prénoms qu’on a donné à nos enfants parce qu’on a peur du moment où un homme se postera devant eux avec une arme, leur demandera « comment tu t’appelles ? » et leur tirera une balle en pleine tête quand ils répondront.

Copyright photo @moukraines

Je transpire

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Je transpire, c’est mon lot, mon destin, l’histoire de ma vie.
Depuis l’adolescence et l’ensemble des joies qu’elle apporte à une vie jusque là digne et droite je transpire. Attention je n’ai pas dit “je pue le fennec qui s’est réfugié dans une tannerie après la tempête de sable”, juste je transpire.

Je suis admirative de toutes ces femmes qui peuvent mettre tous les tissus, se déhancher sous 40 degrés en boîte, courir sur un tapis de course à je sais pas combien à l’heure avec leur queue de cheval qui fait floutch floutch avec élégance, de celles qui arrivent à leur place dans le train avec deux enfants, une valise, un sac à langer et un sac à bouffe et qui font “ouf” en s’asseyant et remettant une petite mèche en désordre sur leur front. Je les déteste aussi et je voudrais les noyer dans ma sueur, c’est de bonne guerre.

Moi je sue, j’évacue les toxines, à grosses gouttes, en rigoles, en rivières, sur les tempes, dans les cheveux, sous les seins, dans le dos et dans la raie du cul, le plus agréable et le plus élégant de tout.

Quand j’allais danser, il y a mille ans en -20 avant enfant, j’ai des souvenirs abominables de soirées passées à aller m’éponger dans les toilettes à grand renfort de PQ juste avant les slows (oui ami jeune avant il y avait des slows en boîte et tu pouvais emballer grave en faisant des clins d’oeil aux copines avec le pouce levé dans le dos du mec). Je finissais systématiquement au bout de deux morceaux la tignasse trempée, le décolleté ruisselant, façon fan de métal assistant à un concert en période de canicule. Et qui invite le fan de métal canuculeux à un slow ? Personne, gagné.

Cela a généré certains automatismes auxquels je fais bien attention en toutes circonstances.
Règle d’or de celle qui transpire : pas de couleurs de fringues où tu vois les auréoles, en gros je porte du noir ou des imprimés, je pourrais porter du blanc mais j’aime pas, c’est con. A intervalles réguliers je tente le haut en jolie couleur trop tendance, une fois tous les 2 ans je dirais, je dois croire qu’avec les années ça va passer mais invariablement je passe le matin à parader dans mon beau top et l’après-midi à coller mes bras bien le long du corps dés que je croise quelqu’un et à les soulever pour voir jusqu’où la tache d’humidité s’étale quand je crois qu’on ne me regarde pas. Dans les deux cas de figures j’ai l’air folle et/ou ridicule, et j’ai l’air de transpirer bien sûr.
Attention, le noir est un gros sale traitre, surtout l’été. Tu te crois à l’abri, hop tu fais ta petite affaire tu transpires comme un boeuf toute la journée, ahah rien à foutre je suis en noir, et puis le soir tu rentres tu enlèves ton tee shirt et il y a des grosses auréoles blanches de sel partout, que forcément tout le monde a vu.
Autre automatisme à choper bien vite : pas de fond de teint, jamais, never, jamas, nicht (je ne sais pas dire jamais en allemand alors j’ai mis autre chose). Sur la personne qui transpire comme moi le fond de teint est un ennemi sournois qui transforme immanquablement ton visage en peinture de guerre iroquoise et qui fait du coup des traces sur ton col donc non seulement tout le monde voit que tu as dégouliné mais en plus tu as l’air crado, vive la France.

Ce qui révolutionne ma vie en ce moment ce sont les fringues de sport dites “techniques”, rien que le nom fait rêver. Ces habits là donc gardent la sueur et sèchent, même pas le temps de faire une auréole pfiout partie ! Je regarde cette révolution se faire sous mes yeux à la salle de sport et je rêve désormais de m’acheter le slip technique. A 20 euros le slip hideux en matière flippante j’attends encore un peu avant d’investir. D’autant qu’en ce qui me concerne, à moins de mettre un bonnet technique pendant que je m’entraîne, rien n’empêchera les gouttes de sueur de faire ploc ploc de mon front sur mes pompes… Et j’avoue, je ne me fais pas à l’idée de porter un bandeau de tennisman des années 80 en éponge pour éviter ça.

Alors j’assume, tant pis, je suis la fille qui transpire, celle dont les mains collent quand il fait chaud, celle qui a toujours les seins qui brillent du 15 mai au 15 septembre et chez les gens qui chauffent trop le reste de l’année, celle qui trouve Laetitia Casta hyper sympathique aussi parce qu’elle a des grosses auréoles dans Voici et définitivement celle qui laisse des traces sur les sièges en cuir et qui  se décolle des dits sièges en s’arrachant la moitié de la peau des cuisses avec un méchant bruit de prout.